Les Histoires d’Alakawa
Je vais te raconter une histoire d’amour de mon peuple.
Il était une fois dans un village de mon peuple, deux jeunes hommes qui s’aimaient d’un amour fraternel. Tout dans leur vie les satisfaisait et ils avaient grand plaisir à être ensemble. Mais voilà que le chef du village voisin vint avec sa fille, une belle indienne au regard profond. Le plus jeune des deux amis resta bouche bée devant elle, suscitant la moquerie sur lui. Il ne pouvait s’empêcher de la regarder et de l’admirer. Mais le chef voulait créer une alliance avec ce village et avait l’intention de marier sa fille au plus valeureux des guerriers. L’homme en question était imbu de lui-même, sûr de sa stature et méprisant pour les jeunes comme nos deux amis.
La jeune fille, elle, même si sa place de fille de chef l’obligeait à la retenue, ne semblait pas vouloir se laisser faire quand elle aperçut son prétendant. Elle supplia son père de l’écouter, que jamais elle ne se donnerait à un homme pareil, mais il ne voulut rien savoir et l’affaire fut arrangé entre les chefs.
C’est alors qu’elle décida de ruser : rien ne lui prouvait que cet homme fût le plus valeureux du village, elle voulait donc mettre tous les hommes à l’épreuve pour choisir celui qui la mériterait vraiment. « Impensable » affirmèrent les chefs, elle devait faire ce qu’on lui demandait, un point c’est tout. Mais la jeune fille s’entêta si bien et si fort que les deux hommes cédèrent et organisèrent une bataille à laquelle tous les jeunes hommes célibataires du village pourraient participer. Elle annonça qu’elle offrirait son manteau à l’homme le plus valeureux de tous en signe d’engagement.
Il fallut quelques jours pour rassembler chasseurs et guerriers et organiser la fête. Pendant ce temps, la jeune fille et son père furent reçus dans la hutte du chef. Nos deux amis, trop jeunes pour prétendre se battre pour les beaux yeux de la belle, profitèrent de ces moments pour offrir leurs services et la divertir. Ainsi, ils l’emmenèrent découvrir les Terres de leur tribu, et eux qui étaient curieux de tout, ils purent lui montrer quantité de choses amusantes et enrichissantes. Mais surtout, ils prirent le temps de lui poser des questions sur elle, sur les habitudes de sa tribu, sur son mode de vie. Sa visite obligeait le chef à vivre dans le faste, mais en réalité, le quotidien du village était beaucoup plus sobre.
Ils échangèrent ainsi sur leurs coutumes respectives, découvrirent qu’elle était la descendante d’une longue lignée de femmes-médecines qui ne s’en laissaient pas conter par les hommes et qui pouvaient choisir leur époux comme elles l’entendaient. Sauf que son village était menacé par l’arrivée d’ennemis, ce qui avait décidé son père à vouloir créer une alliance sûre pour se défendre si besoin. Il comptait sur la place qu’occuperait sa fille pour avoir l’aide de guerriers supplémentaires. La jeune femme n’était pas d’accord avec son père. Elle était persuadée que cette situation pouvait se régler autrement que par une guerre. Mais le chef ne voulut rien savoir. Son sorcier lui avait dit d’agir ainsi et il s’y était plié.
Alors qu’ils discutaient de ces ennemis et de la solution imaginée par le sorcier, les 3 jeunes gens réfléchirent ensemble à un autre moyen d’agir. Que savaient-ils de cette nouvelle tribu qui venait s’installer sur leurs Terres ? Pas grand-chose. Peut-être fallait-il commencer par là. Puis soudain notre jeune ami eut l’idée d’aller demander conseil au Vieux Sage de la grotte joyeuse. Effectivement, cet homme semblait toujours avoir des réponses aux problèmes qu’on lui posait, aussi se mirent-ils tout de suite en route. Après quelques heures de marche, ils arrivèrent sur une Terre fertile au pied d’une montagne aride. Ils entamèrent la pente de la montagne, zigzagant, peinant, soufflant. Pourtant, plus ils avançaient, plus ils se sentaient léger et joyeux. Un effet de la magie du lieu semblait-il. Soudain, au détour d’un énième zigzag, ils tombèrent nez à nez avec le vieux sage, assis là sur un promontoire, à observer le ciel.
« J’ai pu voir vos tourments depuis la vallée et vos questionnements depuis le début de votre montée sur la montagne joyeuse, jeunes gens ! Comment vous sentez-vous donc maintenant ? »
Tous trois le regardèrent interloqués. Comment ce vieux sage pouvait-il connaître leurs questions avant qu’ils les aient posées ?
« Venez vous rafraichir dans la grotte, ajouta-t-il dans un grand sourire. L’air frais vous fera du bien. »
Et tous d’entrer dans la grotte à sa suite. L’endroit était surprenant. Bien que profonde, des rayons de lumière traversaient la paroi rocheuse et offraient une douce atmosphère à ce qui aurait pu être sombre et étouffant. La roche semblait scintiller et se parer de couleurs pour les accueillir de la plus joyeuse des manières. Au fond les restes d’un feu fumaient au centre d’un ensemble de sièges de bois et de pierres fabriqués avec finesse et élégance. Le vieux sage leur proposa une infusion et les invita à s’installer chacun sur un siège. La fraîcheur de la pierre leur fit du bien et ils oublièrent vite la difficile montée de la montagne. Souriant, le Vieux Sage leur demanda :
« Quelle est la chose la plus importante pour vous ? La réussite de votre entreprise ou la sagesse que vous en retirerez ? »
Le plus âgé des amis répondit tout de suite :
« Si nous réussissons, cela voudra dire que nous sommes sages, donc pour moi la chose la plus importante est de réussir. »
La jeune fille n’était pas d’accord. Elle pensait qu’on pouvait échouer, même en étant sage, et que donc retirer de la sagesse d’un événement était plus important puisque cela voulait dire qu’on était capable d’apprendre et d’évoluer.
Le plus jeune les regarda silencieusement. Il réfléchissait à la chose la plus importante pour lui. Certes, il avait envie de réussir, prouver que la voie guerrière n’était pas toujours la meilleure. Mais aussi il sentait que parfois, c’était nécessaire. Quant à la sagesse, elle était toujours là pour qui la demandait. C’était bien pour cela qu’ils avaient fait tout ce chemin. Il suffisait de savoir où la trouver. Non, ce qui était le plus important pour lui, c’était l’intention avec laquelle on faisait ses choix.
Le Vieux Sage l’observait comme s’il pouvait suivre son débat intérieur. Le jeune ami lui demanda : « que sait le sorcier pour penser que nos guerriers peuvent venir à bout de cette tribu sauvage ? »
– Voilà une question intéressante, répondit le Vieux Sage. Nous n’en savons rien effectivement. Que sais-tu, toi, de la situation ?
– Pas grand-chose. La venue du chef voisin peut nous faire croire que nous sommes en danger. Mais est-ce vrai ? Je suis venu ici parce que je voulais aider la jeune fille. Mais je me rends compte que je voulais surtout me faire bien voir d’elle. Maintenant que je suis là, si je réfléchis vraiment au problème, je comprends le rôle de l’alliance : deux tribus face à une seule ont toutes les chances de convaincre un éventuel ennemi de les laisser tranquille. Peu importe qu’il soit belliqueux ou non. Mais quelle va être l’intention de notre chef ? Voudra-t-il entrer en guerre pour chasser ces gens ? Ce serait légitime. Mais est-ce que ce serait juste ? »
La jeune fille le regardait avec intérêt. Quelle avait été son intention à elle ? Elle refusait ce mariage forcé et voulait pouvoir choisir son prétendant pour ensuite exercer la médecine pour sa tribu en continuant à être formée par les siens. Elle n’avait jamais pensé qu’à elle finalement. Et même imposer à des guerriers de se battre pour elle n’était qu’une preuve d’égocentrisme. Elle se sentit honteuse de son comportement. Mais elle ne souhaitait pas pour autant revenir en arrière. L’alliance pouvait peut-être se faire autrement entre les deux villages.
Soudain le plus âgé des amis repris la parole :
« La guerre n’est jamais juste. Tes proches meurent, tes amis sont blessés. Quel intérêt y a-t-il à vouloir une guerre. Nous ne savons rien de ce qui est prévu par les chefs, mais nous savons où nous pouvons agir, c’est dans la manière dont se fait cette alliance. Il est temps de montrer à la vieille génération que nous sommes prêts à prendre la relève. Qu’en penses-tu ? » demanda-t-il en se tournant vers la jeune fille.
Elle l’observa un instant avant de répondre. Décidément ces deux-là étaient très sages. Ils méritaient la plus haute des considérations.
« Je pense que nous allons descendre voir nos chef et père et leur dire notre façon de penser. Mais avant cela, nous devons réfléchir à la manière dont nous souhaiterions que nos villages s’allient. »